Fresh Start - ft Zephrina & Maxwell

Peu importe l’heure de la journée, l’endroit fourmille toujours de monde. Une véritable ruche à l’engrenage bien huilée. Le quartier générale des cyclopes est un lieu que tu préfères éviter, d’ordinaire. Un univers principalement constitué d’hommes, un univers où ta différence dérange une bonne majorité de tes collègues. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir prouvé ta valeur à plusieurs reprises.

Des monticules de paperasses ainsi que de nombreux dossiers sont éparpillés sur les différents plans de travail. Rien d’étonnant à cela, les cyclopes sont avant tout des hommes de terrain. L’administratif n’est pas leur point fort et surtout, les cas de meurtres augmentent. L’agitation que tu perçois chez les cyclopes s’intensifie à mesure que les semaines passent. Il en est ainsi depuis des mois. Sans adresser le moindre regard à tes confrères, tu t’installes à ton bureau. Contrairement à eux, tu ne cherches pas à nouer de liens avec tes paires, plus depuis longtemps en tout cas.

Le soleil que tu vois décliner à travers une fenêtre te donne une indication sur le temps qui file et tu soupirs. Le temps, c’est probablement ce qu’il te manque le plus. Ta tête déjà dans un étau, tu ne te laisses pas abattre pour autant et extirpes de ton tiroir un dossier bien particulier pour toi.  

- Rina, tu fous quoi ici, à cette heure-ci ? Ton service est terminé depuis des heures.
- Je sais, mais le crime ne va pas s’arrêter en même temps que mes horaires.
- Le crime n’a pas besoin de prendre de pause, toi, si. T’as une sale gueule ce soir.

Cette fois, tu redresses ta tête afin de fixer ton interlocutrice. Octavia est l’une de tes rares collègues féminines et la solidarité entre vous n’est pas de mise. Surtout depuis qu’elle a pris ta place dans les draps de Nathaniel. Ne t’en déplaise, tu en avais fini avec lui et tu n’es pas du genre à ravaler ton vomi en renouant avec un ex amant.

- Au moins, je peux mettre ça sur le compte de la fatigue. Ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Tu t’armes d’un sourire hypocrite afin d’enfoncer ton propos. Ta collègue se renfrogne et tu enchaînes.

- Est-ce que tu as ce que je t’ai demandé hier?

En guise de réponse, elle te tend des rapports que tu t’empresses de saisir.

- Ce sera tout ?
- Oui. Tu peux disposer.

Les querelles futiles ne t’intéressent pas. Tu l’entends pester sauf que toi, t’es de nouveau plongée dans ton dossier. Plusieurs heures s’écoulent lorsque tu quittes enfin ton bureau, une adresse griffonnée à la hâte sur un bout de papier. Tes corps est raide, tes muscles noués. Tu ne serais pas contre un massage et cette simple pensée t’attriste. Bien que tu tentes de le chasser de ton esprit, tu finis constamment par penser à Maxwell.

- Sale morveux, que tu marmonnes pour toi-même.

La nuit est maintenant bien installée en ville. Une agréable brise agite tes mèches de cheveux, atténuant par la même occasion le mal de crâne qui menace de faire imploser ton cerveau. Pas le temps. Pas le temps de profiter de l’air nocturne. Pas le temps de traîner. Tu presses le pas jusqu’à ta destination. Des grandes artères, tu passes ensuite par des petits quartiers, jusqu’à complètement t’enfoncer dans les entrailles les moins reluisante de la bulle.

C’est à ce moment que tu entends des cris, ainsi que des bruits de luttes. Instantanément, l’adrénaline se diffuse dans ton organisme et sans la moindre hésitation, tu te diriges en direction du conflit.

C’est ta dague en main que tu remarques la scène qui se joue. En à peine une seconde, tu parviens à analyser la situation. Un cyclope mort et son binôme en pleine lutte avec l’agresseur. Sauf que ton cœur s’arrête net en reconnaissant l’agresseur dont il est question. Même avec son masque, tu le reconnais. Le petit con ! Bien que tu te rapproches de ton collègue comme renfort, à cet instant précis tu te demandes si tu ne vas pas être obligée de poignarder le cyclope rescapé pour sauver Max. T’espère n’avoir jamais à prendre une telle décision un jour.

Le morveux prend la fuite et le cyclope s’apprête à s’élancer à sa poursuite. Aussitôt, tu lui agrippes fermement le bras pour le retenir. Il tente de se dégager alors tu armes ton poing et frappe sur une de ses blessures apparentes. Il se plie en deux et la haine avec laquelle il te regarde t’aide à te déculpabiliser.

- Nous avons un homme à terre et vous êtes blessé, soldat. On se replie et on ramène la dépouille à sa famille.


Non seulement ton supérieur t’as passé un sacré savon mais maintenant, tu es l’idiote qui a laissé un meurtrier s’échapper. De mieux en mieux. Demain, à la première heure, tu peux être certaine de voir ton père débouler dans ton appartement pour te remettre les idées bien place. Une vraie partie de plaisir qui s’annonce pour toi. On ne souille pas le nom des Campbell, voyons. Tu l’entends déjà « C’est une honte. Ton frère n’aurait jamais essuyé un tel échec. Tu aurais dû poursuivre l’ennemi.Tu es faible, Zephrina. ».

Fatiguée par ta journée, usée par ta soirée, tu t’es empressée de prendre une douche une fois chez toi. Comme si l’eau allait parvenir à retirer cette angoisse qui te noue l’estomac. Une angoisse qui flirt dangereusement avec la colère. Il ne te donne aucune nouvelle et lorsque tu le retrouves, il tue un de tes collègues. Et comme une idiote, tu le couvres ! C’est quoi ton soucis ? Une fois propre et habillée, tu te vautres dans ton canapé et t’y endors presque aussitôt. C’est que tu en as, des heures de sommeil à rattraper.

- Salut.

Tu t’extirpes de ton sommeil. Tes yeux s’ouvrent en grand et tu te redresses vivement. La voix de Maxwell agit sur toi comme un véritable électrochoc de rancunes et de colère. Tu as comme un goût amer sur la langue. Un goût de sang et de trahison. Cependant… à quoi tu t’attendais ? Tu le sais, depuis toujours, qu’il est loin d’être un enfant de cœur.

- Je pensais qu’avec ton épaule démontée, tu resterais comme un con au rez-de-chaussé de l’immeuble.

Oui, c’est vraiment une belle manière de l’accueillir . Si il s’attendait à autre chose de ta part, c’est qu’il est plus bête que tu ne le pensais. Et qu’il s’estime heureux que tu ne te sois pas empressée de le pousser dans le vide. Une nouvelle chute lui remettrait peut-être les idées en place.

- Pourquoi t’es là ? Me planter un couteau entre les deux yeux, peut-être ?

Tu quittes ton canapé pour rejoindre ta cuisine. De l’alcool. Tu as besoin d’un bon remontant et tu trouves ton réconfort dans une bouteille de rhum que tu bois directement à la bouteille.

- Que veux-tu, on empêche pas un singe de monter à son arbre.

Justement, si. Des manières de l'empêcher de grimper son arbre, comme il le dit, t'en connais des tonnes. Toutes plus douloureuses et fatales à mesure qu'elles défilent dans ton esprit. Toutefois, pas la peine d'épiloguer à ce sujet, tu préfères encore te réfugier dans la cuisine pour t'emparer de ton précieux rhum. Quant à lui, il s'installe sur une chaise. Contrairement à tes habitudes, tu ne sors ni nourriture et ne lui sers aucun verre. En partie parce que tu n'y penses pas... et aussi parce que tu es déjà trop occupée à ronger ton frein. Tu l'observes gratter ta table. Cette putain brûlure qu'il a laissé avec sa cigarette, juste après avoir partagé un super moment... et juste avant que tu ne bascules.

- Tu te doutes que je peux pas laisser de témoin oculaire ...

Sérieusement? Loin d'être attendrie par sa petite bouille et son sourire, tu hausses ton sourcil. Et donc... si c'est une blague, et ça l'est sûrement, tu la trouves de très mauvais goût. Pas une seule fois tu n'avais envisagé qu'il se retourne un jour contre toi... sauf que là, la petite graine venait d'être plantée et maintenant, tu te poses la question.

Impassible, tu laisses le morveux se démerder avec son épaule. Il subsiste bien une once d'empathie en toi, sauf qu'elle est noyée sous cette colère prête à exploser d'un moment ou un autre. Tu soupirs bruyamment et bois quelques gorgées d'alcool, histoire de te calmer un peu. Pour le moment, tu ne l'as toujours pas rejoint à la table, tu restes adossée contre le buffet. Cette distance, tu en as besoin. Tu as peur. Peur que ta colère s'éteigne une fois contre lui, ou à l'inverse, peur qu'elle n'explose complètement.

-  Il était pas avec toi ton copain ?

Dans le genre question déplacée, il en tient une bonne couche. Tu le foudroies du regard, n'ayant aucune envie de te justifier sur ce point-là. Que cherche t-il à savoir? Si tu renouais avec Nathaniel sous la couette? Parce que si c'est ça, c'est franchement culotté! Et si c'est pour savoir ce que tu foutais là... beh ça le regarde encore moins. Une nouvelle gorgée d'alcool apaise un peu plus ton envie de lui hurler dessus.

- Je pourrais te retourner la question. Il était où, ton super acolyte?

T'amorces un pas vers la table afin de le rejoindre pour finalement te raviser et t'adosser à nouveau contre le buffet. Il vient de retirer son masque et déjà là, tu luttes pour ne pas sortir d'un de tes placards une infusion censée calmer la douleur. Il lui suffirait de te toucher ou de t'embrasser pour désamorcer cette bombe en toi. Tu refuses. Pas maintenant. Pas après ce qui vient de se passer.

- Il s'appelait Léon. Le cyclope que tu as tué cette nuit. Il s'appelait Léon et il laisse derrière lui une veuve et une petite fille.

C'était un con fini avec toi, sauf que la question n'est pas vraiment là. Tu te détournes de Maxwell, le temps pour toi de fouiller dans un tiroir et d'en sortir une cigarette ainsi qu'une allumette. Une fois allumée, tu tires une grande latte et recrache lentement la fumée. T'es du genre fumeuse occasionnelle et là... là tu sens que c'est une bonne occasion pour encrasser tes poumons.

- Je repose donc ma question, pourquoi tu es là?

Tu t'empares d'un cendrier que tu poses à côté de toi. Tes claires prunelles sondent le morveux, avec l'espoir un peu fou que pour une fois, il va s'ouvrir à toi.

- Wei ? A la maison. Il a pas vu l’altercation, il s’est barré avant.

Tu grognes. D'une part, tu réalises qu'il a lâché plus d'informations en une phrase qu'il n'a pu en lâcher en... plusieurs années. De l'autre, tu as conscience que ces informations ne te sont pas d'une grande utilité pour le moment. Et surtout, comment ça il s'est barré avant? Il laisse souvent Maxwell, comme ça, dans la merde? Tes sourcils se froncent, contrariée. Tu n'aimes pas ça du tout. Quitte à avoir un acolyte qui t'embarques dans ses emmerdes, autant qu'il soit là en cas de pépin. Toujours est-il que tu gardes ces informations bien en tête et que tu enchaînes sur autre chose. La réaction du morveux n'est pas vraiment celle que tu attendais. Il rit. Pas toi.

- Ben déjà rien que pour son nom c’est criminel ! Et c’est sur, une petite merde comme moi laisse pas de gamin et de femme, mais j’te signale qu’avec la Monarchie, quasi tous tes collègues lâchent des morpions à la surface pour repeupler. Et les misérables comme moi, on crève en silence ?

Quoi? Non! Ce n'est absolument pas ce que tu voulais dire par là!  Comment peut-il croire un seul instant que c'est ainsi que tu penses? Pas après tout ce que tu risques pour lui. Tu ouvres la bouche pour protester mais il poursuit.

- Tu veux en savoir plus sur ma vie ? D’où je viens ? D’une poubelle, ma mère elle m’y a laissé pour mort et c’est les esclavagistes qui m’en ont sorti.

Les mots te manquent. T'es trop chamboulée et envahit par des sentiments contraire. Qu'il ose te balancer tout ça, comme ça... putain que ça t'énerve! Parce que c'est vraiment comme ça qu'il te voit? Depuis toujours ou seulement depuis ce soir?! Et de l'autre... il s'ouvre à toi. Enfin. Ton cœur se comprime. Tu le sais, qu'il vient de la rue. Tu le sais qu'il n'a pas eu une enfance heureuse, seulement... ouais, ça te serre le cœur. Ta mère tu ne l'as pas connu, parce qu'elle est morte. Pas parce qu'on t'a déposé quelque part comme un encombrant.

Et apparemment, tu n'es pas la seule prête à exploser. Il quitte son siège, tourne comme un lion en cage dans le salon. T'écrases ta cigarette dans le cendrier. Tes mains tremblent, c'était devenue flagrant avec cette sucette cancérigène entre les doigts. Tu te détournes, le temps de prendre un verre dans les placards. Tu n'en as pas l'utilité, tu as juste besoin de t'occuper d'une manière ou d'une autre.

- T’avais qu’à pas me sauver ! Tu m’aurais laissé crever, ça aurait sauver « Léon » à ce compte-là !
- Quoi?!

Lorsque tu fais volte-face, vos regards se croisent. Donc oui... c'est vraiment ce qu'il pense. Tu ne sais pas si tu dois être en colère, déçue ou triste. Tu restes donc plantée là, à le fixer sans savoir quoi dire ou quoi faire. La seule chose que tu veux savoir, c'est pourquoi il est là.

- Parce que …
- Parce que quoi?

T'aimerais capter son regard mais il est résolument tourné vers le bas. Qu'est-ce qu'il va t'annoncer? Ton estomac se noue. La bile te monte à la gorge. Si il est venu pour te dire qu'il veut tout arrêter avec toi... tu n'es pas certaine de pouvoir le supporter.

- Parce que j’tiens à toi et qu’j’ai vu comment tu m’as regardé, alors j’veux pas t’perdre… j’ai rien compris l’autre coup. Tu pètes un câble comme si c’était évident pour moi dt’e comprendre. Ben non, j’te capte pas tout le temps Zeph, mais j’veux bien qu’tu m’expliques ….

Tu ne devrais pas, mais tu lâches un soupir de soulagement. Il n'est pas là pour mettre un terme à votre relation. Au moins une chose sur laquelle vous êtes d'accord ce soir. Nerveuse, tes doigts pianotent sur le buffet. Lui expliquer ton comportement de la dernière fois, c'est t'exposer un peu plus. Toujours plus. Tu te mords la lèvre, un brin hésitante. Finalement, tu quittes ton centre d'observation pour t'aventurer du côté salon. Néanmoins, tu restes à bonne distance de Maxwell.

- Cette nuit là... quand tu m'as regardé... j'ai... j'ai senti que...

Tu marques une pause. T'inspires. T'expires. Puis tu reprends.

- Enfin j'ai cru, je sais pas... C'était comme si...

Anxieuse, tu tripotes tes doigts. T'es incapable de trouver tes mots.

- J'ai eu l'impression que tu ne me voyais plus comme Zephrina mais seulement comme la cyclope que je suis. J'ai senti un changement... et ça m'a fait flipper. Alors j'ai fait ce que je sais faire le mieux. Me cacher derrière ma colère.

Te voilà, à t'exposer. C'est désagréable. D'un autre côté, comment vous pouvez avancer ensemble si tu persistes à le repousser dès que tu te sens en danger? Tu frottes tes mains devenues moite contre ton pantalon. Comment tu peux être autant stressée par une conversation alors que tu jubiles lorsqu'il faut te jeter gueule la première dans une mission suicide?

- La vérité... c'est que tu me fais peur, Maxwell. J'ai peur de ce que tu me fais ressentir, de comment je me sens quand tu n'es pas là.

- Bah t’es une cyclope Zeph … et t’es Zeph, t’es aussi la gamine qui m’a sauvé, t’es aussi celle qui se tape son collègue et qui s’en fiche du regard des autres, t’es aussi celle qui me nourrit et plus si affinité, t’es celle que je vois, là !
- Tapais, au passé, s'il te plaît. Et ce n'est pas aussi simple, que tu murmures.

Ou peut-être que si, ça l'est? Peut-être que c'est toi qui te complique trop la vie, à te questionner, à toujours vouloir à tout prix distancier les différents aspects de ta vie et de ta personnalité. Cette fois, c'est à toi de baisser les yeux, toujours plus nerveuse par la situation dans laquelle tu t'es toi-même embourbée. Tu tritures tes doigts, en panique totale dans ton fort intérieur.

- Mais Zeph, tu te compliques trop la vie, c’est pas possible ! Profite au lieu de tout vouloir intellectualiser. J’aime être avec toi, j’passe du temps avec toi. J’ai mon job, toi, le tien, on a nos missions, on doit rendre des comptes chacun à la tête au-dessus de nous et basta !

Rendre des comptes? Tu ne dis rien, tu feintes de ne pas avoir relevé, mais ça reste une information que tu emmagasines. Finalement, la soirée est riche en révélation. D'un côté comme de l'autre. Du coin de l’œil, tu le regardes faire les cents pas. Tu sembles l'avoir mis dans un drôle d'état, le morveux. En même temps... il a voulu des explications, tu lui en as fourni. C'est pas de ta faute si dans ta tête, c'est un bordel sans nom. Et encore, une chance que tu ne lui dis pas tout.

Quant à lui, il continue son long discours. De plus en plus impacté par ce qu'il raconte, tu lèves les yeux vers lui. Puis tu avances de quelques pas. Tu combles la distance entre vous tout en lui laissant l'espace nécessaire pour qu'il fasse les cents pas.

Tu n'avais jamais mesuré l'impact que tu avais eu sur lui, sur sa vie en générale. En tout cas, tu l'avais toujours minimisé... et ce soir, ce qu'il te dit, ça te touche, forcément. Jamais personne n'a parlé de toi de cette façon. Il n'y a d'ailleurs pas que ça, qui te touche. C'est sa cause, sa lutte, ce qu'il a décidé de faire de sa vie. Dans le fond, vous êtes pareil. Sauf que toi, tu es pieds et poings liés, contrairement à lui.

-  Et Léon, il a jamais dit non au pot de vin pour fermer les yeux sur les enfants qui ont disparu de la maternité de Unnder …

Tu aimerais dire que cela te surprends. C'est faux. Au contraire, tu sais pertinemment que ce genre de comportement est courant, au sein des cyclopes. Tu te mordilles l'intérieur de la joue, avant de te décider, toi aussi, à lâcher quelques informations.

- Je n'étais pas de service, cette nuit. C'est pour ça que j'étais seule. En dehors de mes heures, je bosse sur une affaire. Enfin non.

Machinalement, tu te grattes un sourcil en réfléchissant à tout ça.

- En vrai ce sont plusieurs affaires. Elles ont toutes été classées sans suite, à savoir, sans importance. Et personne n'a fait le lien, ou personne n'a voulu faire le lien entre ces différentes affaires. Je sais que ce n'est qu'une question de temps avant qu'on me mette des bâtons dans les roues et que ma direction me demande de passer à autre chose. Surtout avec le fiasco de cette nuit, pour eux c'est une excuse toute trouvée. 

Tu lâches un soupir, soudainement fatiguée par tout ça. Nonchalante, tu poses ton cul sur l'accoudoir du canapé. Il y'a tellement de sujets que tu aimerais aborder avec lui, tellement de point qu'il a soulevé et que tu aimerais reprendre, démentir, ou rectifier. Au lieu de ça, tu penses que la meilleure solution est de lui montrer que tu lui fais confiance et que finalement, vos vies pourraient ne plus être si incompatible que ça.

- Tu as raison, Maxwell. Le système est pourri jusqu'à la moelle. Et les rares cyclopes intègrent se font museler ou pire encore. Tu vois... toi et moi on est parti du principe qu'on devait garder nos secrets, qu'on devait taire nos activités communes. Et si finalement c'était l'inverse? Tu peux agir là où moi je suis coincée. Et je peux te donner des informations auxquels tu n'aurais pas accès en temps normal. Toi et moi, on pourrait former une sacrée équipe. T'en penses quoi?

- Ben si t’étais pas de garde … ils peuvent pas te reprocher de pas avoir agi, c’est comme si t’étais pas là ?
- Je suis une Campbell... donc si, on peut me le reprocher.

Tu soupirs rien que d'y penser. D'abord ton père, puis ensuite ton frère... C'est déprimant. De toute façon, ce n'est pas important. Ce sont tes problèmes, pas les siens. Non, toi, ce qui t'intéresse, c'est l'idée qui a germé dans ton esprit et que tu lui exposes avec un peu trop d'entrain. Parce que bordel, t'y crois. T'y crois à ce partenariat entre vous deux.

- Non.
- Non?

Un rire nerveux anime tes cordes vocales. Tu ne t'attendais pas à un refus net et catégorique. Dire que ton égo y survis est un mensonge. Un subtile mélange de honte, de gêne et de colère colorent tes joues d'un rouge pivoine prononcé. Avec ton derme opalescent, il est impossible de passer à côté cette couleur criarde. T'as chaud d'un coup.

- Okay...
- J’ai rien à te donner, ça serait pas juste pour toi.
- Okay... que tu répètes pour la seconde fois.

Tu tentes de ravaler cette boule dans ta gorge. Tu t'es trop emballée... et ça t'arrive rarement. Au moins, Maxwell vient de te vacciner sur ce genre d'empressement pour les prochaines années à venir.

- Et c’est bon, j’ai déjà un partenaire.

Cette fois, tu le fusilles du regard. T'as compris. Il ne veut pas de toi. C'est pas la peine d'enfoncer le clou. Ta langue claque contre ton palais alors que tu frottes tes mains contre ton pantalon. C'est bon. C'est okay... ouais! Tu hausses les épaules, plus pour toi-même qu'autre chose. Ouais... T'as jamais eu besoin des autres, pourquoi est-ce que ça devrait changer?

- J’suis là pour toi, mais pas comme ça et en plus ça te mettrait grave en danger.
- Nah mais il se fout de ma gueule.

Oups, tu penses à voix haute. Bah... tant pis! Parce que clairement, là, c'est du foutage de gueule! Dangereux pour toi? Mais t'es une putain de cyclope! Ta vie est constamment en danger! Et on en parle de la sienne, qu'il met en péril tout les jours?

Toujours installée sur l'accoudoir du canapé, tu observes Maxwell et sa technique du crabe. Tu vois pas comment l'appeler autrement. C'est quoi ça, cette manière de s'approcher discrètement de la cuisine, là où il y'a son masque? Il te prend pour une bille?

Il a bon dire ce qu'il veut, qu'il sera là pour toi, reste qu'en attendant tu te sens seule. Et incroyablement conne, en plus.

- Donc, en gros, si je résume la situation...

Tu quittes ton poste d'observation et avance lentement, très lentement de la cuisine. T'es soudainement bien trop calme, et ta démarche féline rappelle un peu trop celle d'un prédateur.

- Tu m'aimes bien. Tu es là pour moi... mais oh! C'est vrai! Tu as déjà un partenaire! Du coup... c'est pas grave si Zephrina est laissée sur le carreau  alors qu'elle risque sa carrière pour tes petites miches. Non... ça ce n'est pas important. On continue de la mettre de côté.

L'air de rien, tu hausses les épaules. Maintenant que tu es proche de lui, tes claires prunelles s'ancrent dans les siennes.

- Au final... je suis importante mais pas à ce point. Dis-moi si je me trompe.

Ses yeux... ils sont d'un clair incroyable, d'une beauté à couper le souffle. Même si parfois t'aimerais bien les lui arracher pour ensuite les lui faire gober. Maintenant que tu es assez proche de lui, tu éprouves le besoin de le toucher, de l'embrasser. Sauf que ce n'est pas à l'ordre du jour. Oh que non. Tu es toujours blessée, vexée et en colère.

- On peut reprendre ?

En guise de réponse, tu fais une grimace. Non, t'as pas vraiment envie de reprendre les points que tu as abordé. Tu ne veux pas te confronter à la vérité. Surtout si celle-ci te déplaît. Parfois, l'ignorance a du bon. Est-ce que tu es vraiment prête à essuyer un nouveau rejet de sa part? Non.

- De un : on va même réduire à « je t’aime » tout simplement, rien devant rien derrière qui réduise ce que je ressens pour toi.

Tu le sens, ce petit sourire qui éclot sur tes lèvres? Ta mauvaise foi lutte avec les muscles de ton visage mais il est bien là. T'aimes pas cette expression, parce que tu trouves que ça fait très fifille... mais bordel, t'as comme des petits papillons dans le ventre.

-  De deux : Je suis là, t’peux toucher et ok j’reste, mais arrête de me foutre dehors dès qu’t’es mal

Une nouvelle fois, tu grimaces, un peu comme le ferait une gamine prise la main dans le sac. C'est un problème sur lequel tu vas réellement travailler. C'est ton système de défense. Dès que tu vas mal, tu te renfermes et te coupe du monde extérieur. Tu rejettes Maxwell alors que tu ne souhaites qu'une chose, te planquer dans ses bras. Il a raison depuis le départ... tu compliques trop les choses.

- De trois : Wei a vraiment besoin de moi, j’suis déjà à deux doigts de le perdre et j’vois même pas pourquoi tu compares. J’ai juste pas la même relation entre lui et moi que toi et moi. Même te dire, on a jamais couché ensemble.

T'aimes pas ça... t'aimes pas ce Wei pour le principe, bien que tu ne le connaisses même pas. Toutefois... tu n'ignores pas que ton homme le considère comme un membre de sa famille. Sa seule famille. Alors tu prends sur toi, tu acceptes et tu comprends.  C'est important de prendre soin des gens qu'on aime. Tu le fais bien avec Maxwell.

-  J’t’expliquerai pourquoi, promis.
- Merci.
- Pas pourquoi on a jamais couché ensemble hein ! Juste pourquoi j’ai peur d’le perdre.

Ne pas éclater de rire. Ne surtout pas rire. Au lieu de ça, tu lèves les yeux au ciel. Quoi que maintenant, t'es assez curieuse de savoir pourquoi ils n'ont jamais couché ensemble. Si t'es tordue? Ouais, quand même un peu.

-  Et de quatre : c’est parce que j’ai justement pas envie de foutre en l’air ta carrière que tu peux pas avoir cette partie-là de ma vie. J’croyais qu’on était d’accord pour dire que y’a des choses qui reste respectivement dans nos jardins secrets.
- Certes...

Les jardins secrets, c'est important. Tu ne veux pas être envahissante, ni l'obliger à tout dévoiler. Ses arguments se tiennent, même si tu les partages pas dans leur totalité. Tu penses au contraire que c'est en te laissant dans l'ignorance que ta carrière va se casser la gueule. Si t'étais au courant de ses activités, peut-être que tu pourrais trouver des parades. Peut-être que tu pourrais trouver des boucs-émissaires tout désigné. Peut-être même que tu pourrais t'en servir pour gagner en galon. Si tu prenais plus de poids, alors tu pourrais commencer à changer les choses.

- Et de … cinq : je sais compter jusque plus que ça, mais j’te dirais pas jusqu’où, tu te foutrais de ma gueule.

Cette fois, tu ris. Tu ne t'y attendais pas à celle-là! Il avance et tu profites de cette proximité pour glisser tes bras autour de ses hanches. Vous aurez le temps de vous disputer plus tard. Tu ne l'as pas vu pendant plus de trois semaines, et maintenant qu'il est là, si proche, ça t'es impossible de résister à l'attraction qu'il exerce sur toi.

- Tu rigoles? Mon homme sait compter jusque cinq... c'est déjà super! Puis au-delà c'est surfait et réservé aux ringards prétentieux.

Tu ponctues ta remarque d'un clin d’œil malicieux. Tu es fière de lui. Tu ne le lui dis pas, mais ouais, t'es carrément fière de lui, de son parcours, de la personne qu'il a réussi à devenir. Tu es également fière de la manière dont il a su gérer la situation de cette nuit. Sous ses airs juvéniles, un homme presque sage se cache et ne demande qu'à se révéler.

Tu déposes un tendre baiser sur ses lèvres, puis un second sur sa joue, un troisième sur sa tempe et les deux derniers dans son cou. L'air de rien, tes mains se glissent sous son haut afin de caresser son dos, sentir sa peau sous tes doigts.

- Tu veux bien rester ce soir? Promis... je ne te mettrais pas dehors. Je ne vais pas me refermer comme une huître... et on arrête de parler des sujets qui fâchent.

Tu poses ton front contre le sien avant de poursuivre.

- Ces trois dernières semaines sans toi ont été horrible. Ne repars plus aussi longtemps, s'il te plaît.

-  Tu sais … j’peux même me planquer ici quelques jours si t’as pas trop peur de m’avoir dans les pattes. Promis, j’arrête les sacrifices d’assiettes et l’immolation de table.

Non... il est sérieux? Il est vraiment en train de te proposer ça? Tes grands yeux bleus s'illuminent tel des guirlandes un soir de noël. Un sourire s'esquisse sur ton visage, laissant apparaître toute tes dents. Si cette idée te plaît? C'est même plus que ça! Oui. Bien évidemment que oui, tu le veux chez toi. Pour ce soir et tout les autres soirs! Tu te vois déjà lui proposer de s'installer ici... et là tu bogues. Zephrina... Calme-toi. La dernière fois que tu t'es emballée, il a bien su te remettre les deux pieds sur terre. Tu ravales donc cette impulsivité qui te caractérise et te pousserais presque à lui offrir le second jeu de clé de ton appartement.

Ton homme s'empare de ta main et te fait danser le tango. T'éclates de rire, à la fois parce que ça t'amuse et en grande partie car il t'apporte un sentiment de joie et de sérénité. Ce qui n'était franchement pas gagné au début de la soirée. Il se débrouille super bien et tu te demandes bien où il a appris à danser ainsi.

- T’as du champagne ?
- Tu me crois si je te dis que j'en ai toute une caisse?

Une caisse de trois bouteilles seulement... mais une caisse quand même! Et pas n'importe lequel champagne! Un des meilleurs de toute la ville. Ta bonne humeur, tes grands sourires et tes airs angéliques sont des atouts dont tu sais user pour obtenir certaines faveurs, comme des réductions plus qu'intéressantes. Tu poses ton index sous le menton de Maxwell et l'embrasse furtivement.

- Je m'occupe de tout.

Tu t'éloignes de lui en virevoltant. Le pas dansant, tu t'affaires en cuisine pour sortir une bouteille et deux flûtes. Te rappelant qu'à son arrivé, tu ne l'as pas accueilli au mieux, tu décides de préparer également un plateau-repas avec ce que tu trouves dans tes placards. Des fruits, quelques légumes à croquer, mais surtout des biscuits salés.

- Prends le plateau repas et suis-moi.

Les deux flûtes dans une main, la bouteille dans l'autre, tu te diriges vers la sortie. Tout est normal, tu n'es pas devenue sénile. Tu rassures Maxwell d'un clin d'oeil, bien qu'il ne soit pas du genre à s'inquiéter de grand chose. Une fois hors de l'appartement, tu montes quelques escaliers et à l'aide d'une clé, tu ouvres la seule et unique porte de cette étage qui ressemble d'avantage au couloir d'un cagibi. Et cette porte peu avenante amène au toit de ton immeuble, un petit havre de paix et de solitude.

- Tadam...

Pour Maxwell qui passe sa vie à vagabonder de toit en toit, ce n'est sûrement pas grand chose. Sauf que toi, t'adores cet endroit. De base, c'est ton sanctuaire, l'endroit où tu te rends toute seule, sans jamais personne avec toi. Tu te libères les mains en posant le tout sur une petite table en bois. Pas très loin, près du bord, plusieurs malles. Dans l'une d'elle, tu en extirpes plusieurs couvertures et des oreilles afin de vous mettre bien.

- Hey, mais je connais ! Je me suis planqué ici une fois où j’étais coursé.

Cette révélation t'arrache un sourire. Sérieusement? Tu imagines bien, tes collègues fouiller chaque recoin du quartier pendant que Maxwell dormait tranquillement sur ton toit. Tu n'es pas de nature superstitieuse, tu n'as aucune croyance particulière... mais ton histoire avec lui te pousse à croire au destin. Ou au moins à y réfléchir. Vos chemins n'ont cessé de se croiser, encore et encore.

Pendant que tu installes les oreillers et les couettes sur le sol, ton homme ouvre un autre de tes coffres. Pas n'importe lequel, non. Soit il a un sacré flair... soit il ne s'est pas contenté de dormir à la belle étoile. Tu penches ta tête sur le côté, l'observant.

- Si tous les gens étaient aussi sensés que toi et planqué de l’alcool sur leur toit, j’me ferais quand même grave moins chier.

Ouais, c'est donc ça! Il ne s'était pas contenté de juste dormir. Il avait fouiné et en plus... le pire dans cette histoire, ce n'est pas qu'il ai sifflé ta bouteille de rhum. Quoi que même là, ça se discute! Non, le pire c'est qu'il n'avait rien rangé derrière lui! Tu ouvres la bouche, mimant la consternation.

- C'était donc toi...  J'ai pourri mes voisins en pensant que c'était eux! T'abuses.

Ouais bon, pour sa décharge, il n'avait pas conscience qu'il pillait ton sanctuaire. Et par ailleurs, tu n'aimes pas tes voisins, ce n'était pour toi qu'une bonne excuse de les emmerder. Le morveux te tend la bouteille de rhum et tu l'acceptes avec plaisir. Tu bois quelques gorgées et comme à ton habitudes, tu es plus prompt à boire qu'à manger.

- Je penserais à renouveler les stocks plus souvent.

Autant pour lui que pour toi, d'ailleurs. T'abandonne ta picole pour te faufiler sous la couette. C'est chaud, c'est confortable, mais il te manque quelque chose pour être parfaitement à l'aise. Alors tu t'empresses de tapoter la place libre à côté de toi.

- Allez grand nigaud, viens me rejoindre. J'ai besoin d'une bouillotte humaine.

j'ai bien pris note, ça veut surtout dire que je pourrais revenir pour piller son sanctuaire quand bon me semble. Mais pour qui me prenez-vous ? Promis je prendrais le temps de la prévenir histoire qu'on picole à deux et pourquoi pas plus si nos corps tiennent le coup. On vidra ses stocks de rhum en amoureux c'est déjà cool !! Romantique même !

La belle se glisse sous la couette et en faut peu pour que je la rejoigne de suite. Le hic ? Ben ... il est où le champagne ? Non' mais je ne perds pas le Nord, on m'a promis du champagne, je veux du champagne ! Je regarde à gauche, à droite et repère la bouteille seul sur le plateau. Pas besoins de coupettes, juste la bouteille telle quelle fera très bien l'affaire.

Pop

Le bouchon saute et l'annonce sonore de la libération du divin breuvage s'accompagne d'une onctueuse mousse qui jaillit. Je la bloque, collant ma bouche sur le goulot et aspire ce qui en sort. Je lèche le contour, et c'est comme propre ! on va pas perdre une goutte, ça serait grave dommage quand même. S'ensuit une longue gorgée avant de rejoindre la demoiselle sous les draps à la belle étoile.

"T'en veux ?"

Bon, on a toute la nuit pour boire et rattraper mes trois semaines d'absence. Clairement, c'est pas les longues discussions qui nous ont manqué le plus semble t'il. Mais comme je suis un jeune homme distingué, sensé et prévenant ... et qui cherche surtout à préserver votre esprit chaste. Je vous passe les détails de cette longue et belle nuit ou nos corps - le mien bien meurtri déjà avant - on pu apaiser leurs tensions. Bonne nuit !